Loin de toute méditation angoissée sur la solitude humaine, Suzanne et le Pacifique est un pied de nez à Pascal, emporté comme viatique, et à Flaubert, qui aurait tempêté contre cette île faite femme où " les pommiers donnent des oranges ", et aurait trouvé là une nouvelle occasion de rager contre le " besoin de poétisation " des femmes, dont la maladie commune et de " demander des oranges aux pommiers... " Traité sur le bonheur de ne point demeurer en repos dans sa chambre, Suzanne et le Pacifique fait le pari de l'eudémonisme païen dont Sartre parlait à propos de Giraudoux -, bouleverse les classifications de la faune et de la flore, dresse l'inventaire d'un monde qui n'existe que parce qu'il est nommé. Giraudoux nous mène en bateau et l'île a ceci de commun avec le radeau, leitmotiv de l'œuvre giralducienne, qu'il permet à l'anarchiste distingué - que Philippe Soupault voyait en Giraudoux - d'isoler la révolte et de laisser l'ordre du monde intact : " On ne devrait s'aimer que sur un navire, un radeau ; on le laisse aller, une fois tout fini, et tout le reste du monde est sauf ".