Jacques Villeglé prélève sur les murs parisiens, depuis la fin des années 1940, les affiches lacérées par des mains anonymes, et les expose après les avoir simplement marouflées sur toile. Revendiquant la position du flâneur, il laisse émerger du chaos urbain les beautés cachées dans les épaisseurs de papier déchiré, à travers un corpus foisonnant et d'une étonnante richesse formelle, depuis l'éclatement typographique et les grandes compositions abstraites colorées des débuts jusqu'aux récentes juxtapositions rythmiques issues d'affiches de concerts. Son Alphabet socio-politique, réalisé à partir d'un vocabulaire de lettres détournées telles qu'on peut les trouver dans les graffitis, procède de la même entreprise d'appropriation. L'?uvre de Villeglé est un formidable sismographe de nos "réalités collectives" telles qu'elles sont distillées par l'espace urbain dont l'histoire nous est restituée à travers celle, singulière, de ses murs. Elle révèle combien notre regard est conditionné par cet environnement visuel quotidien, et réactive notre mémoire de façon critique, mais aussi ludique.