Disparu de la sphère musicale pendant des décennies, à tel point que certains le croyaient mort, le chanteur Malan Mané, voix incontournable du peuple de Guinée-Bissau au sein du groupe Super Mama Djombo, a enregistré début 2022 son premier album solo, à Lisbonne, aux célèbres studios Valentim de Carvalho, là même où furent gravés en 1979 les enregistrements historiques du groupe légendaire. - - Au programme, onze chansons qui invitent bien souvent à s’épancher sur le parquet, rythmiques collé-serré, guitares au taquet et voix un brin éraillées, juste bien perchées, qui en appellent aux valeurs de l’amitié et de la fidélité, qui disent que la liberté n’a pas de prix – et ça, Malan l’a chèrement payé –, qui scandent les grands noms qui ont permis à l’Afrique de songer à se construire un avenir : Nelson Mandela, et puis Amilcar Cabral, celui qui fournit encore le diapason en donnant son surnom, ‘le fils du lion’, comme titre de cette résurrection. Tout un symbole - - - - Ce splendide album aura mûri pendant trente ans, condensé des plus belles chansons que Malan ciselait dans la solitude de l’exil. Mélancolie bouleversante du chef d’oeuvre ‘Recado’, en forme d’adresse au peuple durant la guerre civile de 1998. Euphorisantes rythmiques afrobeat de ‘Lana ribada’, souvenir des clairs de lune dans les campagnes de Guinée-Bissau. Humour délicieusement chaloupé de désir de ‘Ma Na Balança’. Il y a chez Malan un art de faire sourire et d’émouvoir à la fois, quelque chose d’une grâce dans le souffie, dans l’élégance et l’énergie du phrasé, dans la jubilation du jeu de répons avec les chœurs. Il y a aussi une grandeur, une fierté : hauteur extraordinaire d’où pense le musicien dans Nelson Mandela. Sincérité déchirante de la solitude racontée dans ‘Tubabubdu Sio (Au pays des blancs)’. Cette solitude, le retour au studio l’aura rompue début 2022. Et c’est ce bonheur aussi qu’on entend. Bonheur de retrouver les complices d’autrefois, Sadjo, Tundu, Armando. De retrouver l’entente toujours instantanée, l’exigence intacte. Bonheur après certaines prises d’avoir la certitude que c’était là, ce je ne sais quoi qui fait tout. Bonheur de retrouver la musique, tout simplement. Sylvain Prudhomme