Dans la salle que la National Gallery de Londres consacre aux trésors de Diego Velázquez, un tableau s'avère particulièrement énigmatique pour l'œil contemporain : "Le Christ dans la maison de Marthe et Marie". Peinte en 1618, alors que le maître n'a que 20 ans, la toile met habilement en abîme la parabole biblique en se présentant à première vue comme un bodegón, scène de taverne alors très en vogue dans la peinture espagnole. On y voit une jeune fille s'affairer en cuisine, suivant les conseils d'une femme âgée. Devant elles, des poissons, quelques gousses d'ail, des œufs... et un piment rouge séché. Comment ce légume, originaire du Nouveau Monde, est-il arrivé sur une table de cuisine sévillane ? Pourrait-il constituer la clef d'interprétation de cet émouvant tableau truffé d'allégories et d'énigmes ? À partir de ce détail qu'on pourrait croire anodin, une fenêtre s'ouvre sur tout un monde, à commencer par la Séville du Siècle d'or, l'un des plus grands ports d'Europe à l'époque, où affluent depuis la découverte des Amériques des aliments nouveaux. Dans le prolongement du "Chapeau de Vermeer", premier volet de cette collection, ce documentaire propose une enquête riche en digressions et en ponts entre les époques, qui met en lumière les influences multiples ayant nourri le génie de Velázquez. Il convoque des spécialistes inattendus mais toujours éclairants, d'une cheffe sévillane aux botanistes des jardins royaux de Madrid, de cultivateurs de piments à un prêtre mexicain. En filigrane, le piment nous parle d'échanges et de guerres, de transgression et de sensualité, de la démesure de l'art baroque et des crimes des conquistadors contre l'Empire aztèque... Et aussi, tout simplement, de l'art de peindre.