Lucie Scalbert était la plus belle fille du lycée. Avec un je ne sais quoi de dingue dans le regard. Je n ai pas été surprise qu elle devienne comédienne, je l ai perdue de vue alors que le succès semblait l attendre. Voilà que je la retrouve cinq ans plus tard. Elle n est plus que l ombre d elle-même. Elle a abandonné sa carrière, elle prononce le nom de VDA, son mari, avec un mélange d effroi et de rancSur. Ce vieillissement précoce, cette voix enfantine, ce rire désespéré : je comprends que c est cela, une relation d emprise.
Ce qui fascine une romancière, en l occurrence, Mina Liéger, mon double fictionnel, c est ce lien étrangement raisonnable qui unit une femme à un homme qui la rend folle. À mesure que je reconstituais l histoire de Lucie Scalbert, il devenait évident que ce lien relevait moins de la psychologie que de la possession : une force mettait Lucie à la merci des hommes dont elle tombait amoureuse. Ce rapport destructeur produisait chez ceux qui en étaient témoins un sentiment de déjà-vu, comme si nous en reconnaissions l'empreinte dans nos faux-semblants et nos secrets de famille, et jusque dans les événements qui bouleversaient nos vies. L'emprise de VDA sur Lucie obéissait à des lois trompeuses, cruelles et romanesques qui tissaient la toile dans laquelle nous étions pris.