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En 1940, le NKVD fait exécuter plus de 22 000 prisonniers de guerre polonais, dont 4 500 dans la forêt de Katyn. Dans un remarquable documentaire, Cédric Tourbe lève le voile sur un crime de masse longtemps nié par le régime soviétique.
Le 17 septembre 1939, sans avoir déclaré la guerre à la Pologne, l'armée rouge envahit sa partie orientale. Conformément aux dispositions secrètes du pacte germano-soviétique, Hitler et Staline viennent de se partager leur voisin. Dans la foulée, le NKVD, la police politique soviétique, organise le regroupement dans les monastères de Kozielsk, Starobielsk et Ostachkov de prisonniers de guerre polonais, principalement des officiers, et des représentants de l'élite intellectuelle. En avril 1943, après la défaite de la Wehrmacht à Stalingrad, Goebbels annonce la découverte d'un charnier dans la forêt de Katyn, près de Smolensk, à la frontière biélorusse. Après avoir mis sur pied une commission d'enquête internationale, composée de médecins légistes originaires de pays alliés à l'Allemagne ou sous son contrôle, le ministre de la propagande nazie attribue au NKVD l'exécution d'une balle dans la nuque de plusieurs milliers d'officiers polonais. En accusant les "judéo-bolcheviks" d'avoir commis entre avril et mai 1940 ce crime de masse, le IIIe Reich espère désolidariser Churchill et Roosevelt des Soviétiques. Mais ni l'Amérique ni l'Angleterre ne peuvent se permettre de lâcher leur allié russe, qui, du reste, nie farouchement sa responsabilité dans le massacre et en accuse les nazis. Ce mensonge va perdurer jusqu'en 1990, quelques mois seulement avant l'effondrement de l'URSS…
Crime hors norme
Pour comprendre comment le crime de masse de Katyn a été commis, ce qui l'a rendu possible et qui a permis qu'il soit nié par ses responsables pendant près d'un demi-siècle, Cédric Tourbe et Olivia Gomolinski déroulent le fil d'une histoire qui débute à l’aube du régime bolchevik avec l'institution en 1917 de la Tcheka. Chargée d’éliminer les oppositions, cette police secrète, qui officiera ensuite sous le nom de Guépéou, NKVD, puis KGB, va peaufiner, intensifier et masquer ses méthodes criminelles, des exactions de la guerre civile des années 1920 aux assassinats et déportations à la chaîne de la fin des années 1930. S'appuyant sur de précieuses archives, notamment celles, inédites, découvertes par l'historien Nikita Petrov de l’ONG russe Memorial, les souvenirs d’officiers polonais ayant réchappé au massacre de 1940, parmi lesquels Salomon Slowes, un médecin juif, et l'officier de réserve Josef Czapski, un artiste peintre qui, après la guerre, témoignera devant la Chambre des représentants aux États-Unis, et une riche iconographie (superbes illustrations de Thierry Murat), cette fresque historique met des noms et des visages sur les victimes et les responsables d'un crime hors norme, qui épouse l'histoire de l'Union soviétique, de la Pologne, de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide. Une somme exemplaire.
La chronique, captivante et détaillée, du fiasco diplomatique qui a conduit à la signature, en août 1939, du pacte germano-soviétique, aux conséquences funestes.
Le 23 août 1939, l’Allemagne nazie et l’Union soviétique, représentées par leurs ministres des Affaires étrangères respectifs, Joachim von Ribbentrop et Viatcheslav Mikhaïlovitch Molotov, signent un pacte de non-agression, accompagné d’un protocole secret qui prévoit le partage des territoires conquis en Europe de l'Est. Quelques jours plus tard, Hitler, ainsi libéré de la menace d’être pris en étau, envahit la Pologne et déclenche la Seconde Guerre mondiale. Comment le Führer et Staline, autrefois ennemis jurés, ont-ils opéré ce rapprochement destructeur ? Pendant cinq ans, Maxime Litvinov, commissaire du peuple aux Affaires étrangères, représentant de l’URSS à la SDN (Société des nations) et farouche antinazi, a cherché à nouer une alliance militaire avec la France et la Grande-Bretagne pour faire obstacle aux volontés expansionnistes du IIIe Reich. Ses appels à l'instauration d'une politique de sécurité collective sont restés lettre morte, ouvrant le champ à l'un des plus grands coups de théâtre du XXe siècle.
Chronique d'un désastre annoncé
Peur de la contagion communiste, pusillanimité face au réarmement progressif de l'Allemagne, coups du sort – telle la mort, dans l'attentat contre le roi de Yougoslavie, en 1934, à Marseille, du ministre français Louis Barthou, favorable à un front antinazi –, décisions absurdes, climat de paranoïa généralisée... : à travers un abondant fonds d'archives, ce documentaire passionnant plonge dans le secret des chancelleries. Il suit ainsi le fil d'une débâcle diplomatique que les esprits les plus lucides de leur temps (Litvinov, donc, mais aussi Ivan Maïski, ambassadeur russe à Londres, Churchill...) n'auront pas réussi à empêcher.
Le 23 février 1917 (8 mars dans le calendrier grégorien), à Petrograd, capitale de l'Empire russe, c'est une manifestation féminine qui amorce la chute du régime. Au lendemain de grandes grèves ouvrières, l'annonce de rationnements supplémentaires dus à la guerre, mais aussi à l'incurie des autorités, jette dans la rue les femmes des faubourgs, qui, au terme d'une marche de six kilomètres, fusionnent avec un convoi de suffragettes réclamant le droit de vote dans une atmosphère de "jour de fête". Le lendemain, 24 février, des masses d'ouvriers en grève chantant "la Marseillaise" envahissent le centre-ville en passant sur la Neva gelée. C'est le début d'une insurrection populaire qui prend de court tous les militants révolutionnaires russes et qui, en quelques jours, la garnison de la capitale se joignant aux insurgés, fait tomber la dynastie tricentenaire des Romanov.
Le 2 mars 1917, à la demande de son état-major, Nicolas II abdique en faveur de son frère Michel, qui refuse le trône. Avec à sa tête le prince Gueorgui Lvov et le très populaire député socialiste Alexandre Kerenski, un gouvernement provisoire est chargé de gérer, en concertation avec le Soviet de Petrograd, les incertitudes d'une révolution qui se répand comme une traînée de poudre et la guerre qui se poursuit contre l'Allemagne. À Zurich, Vladimir Ilitch Oulianov, alias Lénine, le dirigeant exilé des Bolcheviks, un groupuscule marginal au sein du Parti ouvrier social-démocrate, ne prend pas la mesure de ce qui se passe dans son pays…
Déchaînement
Des prémices de la révolution de février à l'insurrection d'octobre, décidée et menée avec succès par un Lénine qui, à rebours de sa légende, a longtemps été ballotté, comme tout le monde, par la puissance des événements, Cédric Tourbe, avec l'historien Marc Ferro et le politologue Michel Dobry, restitue pas à pas l'extraordinaire enchaînement des faits, ou plutôt leur déchaînement.
Remarquablement limpide, leur récit commente de formidables archives, qui permettent au sens propre de voir vivre la Russie de 1917 et advenir la révolution. Porté également par les voix de deux témoins éloquents, le socialiste révolutionnaire Nicolas Soukhanov et la journaliste française Marilye Markovitch, le film montre ainsi en détail comment Lénine parvient in extremis à remporter la mise. Il réussit aussi à faire partager l'énergie bouillonnante, euphorique, explosive, de ce moment où le peuple le plus nombreux et le plus opprimé du monde occidental ne remet pas seulement en cause l'autocratie, mais toute forme d'autorité.