La nuit de noces est un événement à la fois banal et singulier pour les femmes et les hommes de la France du XIXe et du premier XXe siècle : si le rite s'impose alors à presque tous, il constitue une expérience personnelle décisive pour chacun. La norme exige que les jeunes mariés attendent la première nuit suivant la cérémonie pour consommer sexuellement leur union, mais aussi qu'ils n'en retardent pas davantage le moment. Bien que ces quelques heures inaugurales de leur vie conjugale se passent portes closes et que la bienséance commande d'en conserver le secret, de puissants attendus familiaux, religieux et sociaux pèsent sur leur bon déroulement. Pour dévoiler l'imaginaire et les réalités de la nuit de noces, cet ouvrage s'appuie sur des sources étonnantes et des archives exceptionnelles. Des procédures judiciaires engagées par des couples souhaitant se séparer donnent en particulier accès aux témoignages des époux eux-mêmes : le récit des paroles échangées, des gestes effectués, des émotions ressenties offre un éclairage unique sur les pratiques nuptiales, habituellement tues, et sur l'ignorance dans laquelle sont maintenues les jeunes filles jusqu'au soir du mariage. Le " viol légal " que certaines dénoncent apporte une profondeur historique aux réflexions actuelles sur le consentement. Aïcha Limbada montre que la nuit de noces est vécue par les époux comme une véritable épreuve, au cours de laquelle les femmes doivent attester de leur virginité et les hommes de leur virilité, mais qu'elle est aussi appréhendée par les penseurs et les médecins comme un problème sanitaire et social majeur. De sa réussite dépendent le bonheur du couple et la perpétuation de la société, dont l'ordre repose sur une domination masculine que l'initiation féminine participe à instituer.